Les Benshi
Avant d’être une plateforme de streaming pour les petits cinéphiles en herbe, Benshi était le nom attribué aux bonimenteurs (hommes et femmes) qui opéraient dans les salles de cinéma au Japon, ainsi que dans leur colonies (Taïwan), ou les zones comprenant une forte diaspora (Hawaï par exemple) à l’époque du muet.
Les Benshi au temps de leur gloire
L’âge d’or des benshi se situe au milieu des année 20, au moment de l’augmentation de la fréquentation des salles au pays du soleil levant, qui fait exploser leur côte de popularité.
Ils prodiguent des explications au public en temps réel sur les films, d’où le nom de leur pratique « eiga setsume », qui peut être littéralement traduit par « explication de film ». Les benshi chantent, ils parlent, jugent des scènes délicates sur le plan de la censure et des mœurs de certains personnages, ont le pouvoir de transformer le sens des images, jusqu’à modifier le genre d’un film. Avec leurs mots, un mélodrame peut alors se transformer en comédie. Ils faisaient parler les images avant le parlant.
Ces bonimenteurs deviennent une attraction commerciale, parfois plus fameux que les acteurs sur l’écran qu’ils commentent, avec leur personnalité, leur style dont les spectateurs viennent profiter. Ils sont parfois spécialistes d’un type de film de « jidai-geki » (film de samouraï en costumes traditionnels) ou de « gendai-geki » (films dont l’intrigue se déroule dans le monde contemporain). Il existait des concours de benshi (taikai) et un classement (banzuke) qui participe à illustrer l’importance des benshi. En 1920, on dénombre 7000 benshi au Japon et une corporation en effervescence.
Ces donneurs de sens travaillent dans des salles qui, à cette époque, ne sont pas plongées dans une profonde obscurité. Ils demandent au projectionniste de ralentir ou d’accélérer en live le film en fonction de ce qu’ils jugent trop ennuyeux ou à potentiel attractif pour le public. Les benshi sont des adaptateurs. Ils tentent de conformer un objet préfabriqué, le film, aux attentes d’un public particulier et chaque fois différent.
La menace du parlant
Sans cet espace sonore vide du muet l’activité des benshi se retrouve menacée à l’arrivée du parlant.
Le premier film japonais sonore sort en 1931 (Madame est mon épouse de Gosho Heinosuke), et le parlant connaît un développement exponentiel au cours des années 30. Avec l’arrivée du son, ce sont aussi les sous-titrages bilingues qui pointent le bout de leur nez, annoncés sur des intertitres par Paramount, MGM et United Artists, ou des sous-titres placés en surimpression d’un dialogue parlé dont la menace plane, annoncé par Universal et Fox autour de 1931, dans une dynamique d’adaptation des films en japonais.
Que faire alors si les films parlent tout seul et n’ont plus besoin d’être commentés ? Certaines stratégies se mettent en place avec le soutien du public qui continue de venir voir les séances durant lesquels les benshi interviennent. Certains optent pour couper le son du film parlant comme le cinéma Shochikuza de Tokyo qui propose des séances de L’Affaire Donovan réalisé par Franck Capra en 1929, sans son, avec l’intervention d’un benshi. Ou des séances durant lesquelles les benshi intervenaient aussi parfois par-dessus la bande son même si les films bénéficiaient de sous-titres. Certains benshi se reconvertissaient même en parallèle de leur activité tout en conservant certaines caractéristiques de leur pratique. Musei Tokugawa, un des benshi les plus en vogue, accepte en 1930 l’offre de la MGM pour réaliser des traductions destinées aux intertitres de films. Mais le style Benshi étant particulier différent de celui des traducteurs, et ces traductions ont été jugées trop benshi par l’usage d’un niveau de langue trop sophistiqué.
La disparition
Bien qu’ayant retardé par leur popularité la démocratisation du 100% parlant au Japon, le nombre de Benshi s’est drastiquement réduit au cours des années 30 jusqu’à la quasi-disparition. Aujourd’hui, il existe encore un petit nombre de benshi en activité comme Midori Sawato, mais le temps de leur gloire est révolu.
©Matsuda Shunsui. Photograph courtesy of Matsuda Film Productions sur Hamilton College Digital Archives